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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

NIUE, L’ETONNANTE.

En quittant Maupihaa, nous rencontrons de bonnes conditions météorologiques, le vent venant de l’arrière n’est ni trop fort, ni trop faible, la mer est belle, le bateau file agréablement.
Le pilote automatique est réglé pour suivre le vent, les îles ne traversent pas l’océan sans demander la permission et sans l’avoir obtenue, nous sommes sereins.

Nous avons prévu de faire escale à Palmerston, tout petit atoll appartenant aux îles Cook et situé à quelques six cents miles plus loin.
Des bouées sont installées à côté du récif, nous nous accrochons sans peine. Notre bateau voisin, Troubadour, signale nos arrivées à la VHF.
Quelques minutes plus tard, une barque s’approche. A son bord, se trouve un habitant de l’ile qui, après les salutations de politesse, nous annonce la couleur :  il se lance dans une énumération de dollars, vingt pour le bateau, vingt par personne, dix par jour pour la bouée, encore vingt pour les autorités....
Nous n’avons pas de dollars locaux, il accepte les euros ainsi que les dollars US avec un change d’un pour un, peu avantageux pour nous. Il nous invite aussi à planter notre ancre car sa bouée est peu fiable, nous risquons donc de terminer sur le corail....
Oh, là là ! Tout ce que nous détestons !
Nous avons l’impression d’être retournés aux Grenadines.
Patrick commence à cogiter, il peut descendre en bouteille vérifier les bouées, mais ne veut pas prendre la responsabilité de toutes les assurer.
Eddy, c’est le prénom de ce monsieur, nous dit qu’il reviendra cette après-midi encaisser la monnaie.
Comme il est midi et que je fête mes cinquante-cinq ans, nous ne nous laissons pas abattre. Nous dégustons un bocal de foie gras accompagné des dernières tranches de pain coco et agrémenté de confiture de bananes séchées des Marquises, la nostalgie est aussi dans l’assiette...
Après ce rapide mais non moins délicat festin, nous prenons contact avec le capitaine de Troubadour, perplexe lui aussi.
Nous étions pourtant tous avertis que nous allions pleurer et regretter les fabuleux accueils polynésiens.

A quatorze heures, nous nous détachons de la bouée, et reprenons courageusement la mer pour l’ile de Niue. La météo est bonne, cela confirme la décision des capitaines.

Trois jours plus tard, nous arrivons à Niue, nous sommes déjà à deux mille kilomètres de Tahiti.
Niue est une île de deux cent soixante kilomètres carrés sur laquelle vivent mille cinq cents habitants. Heureusement pour nous, presque tous ces habitants parlent un anglais très scolaire et nous les comprenons sans trop de difficultés.
Quant à leur dialecte, nous avons du mal à apprendre le simple « bonjour » qui se dit ici « Fakaalofa Lahi Atu » !

Nous prenons une bouée dans la baie d’Alofi, la capitale, où plusieurs bateaux sont présents.

Après un premier excellent contact VHF, nous devons descendre à terre pour accomplir les formalités d’entrée.

Le quai se trouve en hauteur, nous ne pouvons pas laisser l’annexe attachée au niveau de l’eau, la houle et le ressac sont trop violents. Elle doit être hissée sur le quai à l’aide d’une grue.
Ce n’est pas si simple.
Il faut mettre des bouts transversaux pour maintenir l’annexe horizontale pendant le transport et faire une solide boucle.
Cela étant savamment accompli, Patrick me dépose sur la plus basse des marches d’un escalier glissant mais recouvert d’un grillage plus sécurisé. Des rampes installées des deux côtés permettent de se cramponner entre deux vagues les jours de houle.
Patrick passe le crochet dans le nœud, relève le moteur puis descend à son tour de l’annexe en longeant le mur avant de rejoindre l’escalier.
Avec la télécommande, je remonte l’annexe, Patrick la guide sur le quai, puis je la redescends et la pose délicatement sur un petit chariot. Pour terminer la manœuvre, nous détachons le crochet, garons notre annexe sur le parking prévu à cet effet et descendons à nouveau le crochet pour le dinghy suivant.

Sur le quai, les membres des autorités compétentes nous attendent, tout sourire.
Nous remplissons des formulaires, répondons à quelques questions dont les plus importantes semblent être la présence ou non d’animaux et d’armes à bord.
Dans la bonne humeur générale, les douaniers tamponnent nos passeports, répondent gentiment à nos questions et nous souhaitent un agréable séjour.

L’ile est très moderne, le réseau internet couvre tout le territoire et est ouvert et gratuit pour chacun une heure par jour.
Une banque accueille favorablement toutes les devises, Niue est un petit paradis fiscal.

Nous hallucinons un peu ! Sur cette île perdue au milieu du Pacifique, se trouve un square avec de nombreuses boutiques, des restaurants dont un indien servant de délicieuses rôties, crêpes farcies aux pommes de terre safranées et épicées, des loueurs de voiture....
Cette île est minuscule, mais elle a tout d’une grande, golf et dancing compris.

Nous louons une voiture pour aller à la découverte de cet atoll surélevé d’une soixantaine de mètres au-dessus du niveau de l’océan.
Tout autour, les falaises de calcaire dessinent des reliefs très découpés. Des failles profondes où se nichent de jolies piscines naturelles sont parfois surplombées par des arches imposantes.
Les grottes sont nombreuses, nous avons l’impression que nous nous trouvons sur un gruyère avec beaucoup de trous, prêt à s’effondrer d’un instant à l’autre.
Autour de l’île, les baleines sont venues se reproduire et nous les apercevons de loin.

Au centre de l’île, la forêt vierge est intacte, très dense et la voie qui la traverse se trouve dans une mi- obscurité fraîche et humide.
La majorité des petits hameaux se situe sur la côte à l’abri des vents d’est dominants, les maisons sont colorées et coquettes, les nombreuses églises sont bien entretenues.

Grâce aux renseignements fournis par le club de plongée local, nous partons en toute sécurité explorer les fonds sous-marins.
L’eau est claire, un peu froide tout de même.
Patrick n’est pas rassuré, nous allons croiser nos premiers « tricots rayés » dont une sous-espèce très venimeuse est assez présente.
L’architecture est originale, de grandes failles s’étendent sur plusieurs dizaines de mètres, nous nous baladons entre elles, sur des fonds sableux formant d’étroits corridors sinueux.
Nous visitons une grotte, un peu cachée derrière un rocher. Elle nous rappelle une grotte d’Apatoni, sans les langoustes, sans les raies tapies au fond mais avec un premier serpent qui impose, du long de ses trente-cinq centimètres, un brusque demi- tour à Patrick.
Un gros requin citron l’aurait certainement moins effrayé.
Plus tard, dans la plongée, nous en croisons d’autres dont un de cinquante centimètres, bien rayé celui-ci.
Patrick le suit du regard, je suis à deux doigts de lui prendre la main pour le rassurer !
La faune est assez rare mais la flore est belle, les coraux nombreux et colorés, la plongée ne nous déçoit pas du tout.

Hélas, un mauvais temps est annoncé et nous ne sommes plus que quatre bateaux dans la baie. Le soir venu, nous quittons la bouée sur laquelle le catamaran commence à danser imprudemment, agité par une houle forcissant d’heure en heure.

Nous garderons un très bon souvenir d’un des plus petits états indépendants au monde posé sur une des plus grandes îles coralliennes du monde.