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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Panama

LE CANAL : PREPARATIFS

Nous arrivons à Panama début avril, pour préparer le passage du canal dans les meilleures conditions possibles, pour nous et notre équipage familial devant nous rejoindre à la fin du mois.

A la marina Shelter Bay, nous prenons contact avec Tito, agent conseillé par les équipages des bateaux français. Celui-ci, moyennant finances,  s’occupera des différentes formalités administratives, nous louera les amarres et les pneus. Quatre amarres sont nécessaires et seront disposées aux quatre coins du catamaran, tenues chacune par un équiper qui devra, en temps voulu et sur ordre du pilote, la tirer ou la laisser filer. Les pneus feront office de pare-battages, pour protéger la coque de part et d’autre.

Notre premier rendez-vous a lieu au Flats, dans la baie de Colon. Le bateau doit être mesuré par un représentant officiel du canal. Une embarcation s’approche de notre catamaran et un gentil monsieur monte à notre bord. Il mesure le bateau et rajoute, aux quarante-trois pieds de notre Belize, trente et un centimètres pour la largeur de l’annexe suspendue au portique. Il nous donne des conseils, des précisions sur les différentes possibilités de passage des écluses, nous questionne sur la vitesse et la consommation de nos moteurs et nous souhaite  « Bon Voyage » en français !
Dans l’après-midi, Patrick se rend à la banque du canal pour verser la somme de mille cinq cent dollars dont la caution de  huit cent quatre vingt onze nous sera rendue si tout se déroule sans incident.
Le soir même, la date  du passage est programmée avec le bureau compétant pour le 30 avril.
En attendant, nous naviguons jusqu’à Portobello, où nous passons les fêtes de Pâques, cousons une housse pour notre annexe, rencontrons des amis.  Nous restons également une semaine au Club Nautique, face au géant port de Colon et nous regardons sans nous lasser le ballet des immenses porte-containers, des remorqueurs, des grues chargeant et déchargeant les containers, de jour comme de nuit.

Jeannot, Franck, Charles-Antoine et Paul-Alexis nous rejoignent le 29, et, après une nuit de sommeil, ils sont déjà mis à contribution. Les panneaux solaires sont recouverts de coussins et de couvertures pour les protéger des pommes de toulines tombant sur le bateau, les pare-battages et les pneus sont solidement fixés aux filières et aux chandeliers, les amarres sont déroulées et rangées dans les règles de l’art, sans nœud.

Nous arrivons en avance au flat, pour notre rendez-vous avec le pilote. Hélas, le temps passe et nous ne voyons aucun bateau de pilote à l’horizon. Patrick et Charles-Antoine se relaient à la V.H.F. afin d’obtenir des explications mais ni l’anglais, ni l’espagnol ne sont facilement compréhensibles. Finalement, en questionnant directement le bureau, nous comprenons, désappointés, que notre passage sera remis au lendemain, pour cause de manque de pilote.
Notre déception est grande, tout semblait si bien coordonné et nous nous demandons avec anxiété si demain, nous n’aurons pas la même mauvaise surprise.

LE CANAL : PASSAGE

Mais, aujourd’hui, à peine sommes-nous ancrés au flat, que le pilote est à bord, vérifie les amarres et nous voilà partis ! J’ai le cœur qui bat et je prends la barre un moment pour masquer mon angoisse ! Le pilote, prénommé  Franklin, est un homme fort sympathique qui parle un anglais compréhensible, et qui répond à nos multiples questions avec clarté et gentillesse.

La première écluse apparait à l’horizon et notre compagnon d’écluse est un bateau d’environ deux cent mètres de long qui sera disposé en tête de bassin. Nous passerons donc en « center chamber », c'est-à-dire seul dans la largeur de l’écluse.
Jeannot, Franck, Charles-Antoine et Paul-Alexis prennent place aux quatre coins du bateau, Patrick reste à la barre, le pilote à ses cotés pour donner les indications nécessaires. Je reste au centre du bateau pour prendre les photos, traduire les ordres du pilote et fournir l’eau fraiche !

Le lancement des pommes de toulines  est impressionnant, il ne faut pas les rattraper au vol, ni les prendre sur la tête, mais s’en saisir rapidement et les attacher immédiatement aux amarres. Il est trop tard pour les révisions de nœud de chaise ! Selon la demande de Patrick, les quatre pommes sont envoyées sur le filet, à l’avant, et deux d’entre elles sont emmenées à l’arrière par-deçà  les haubans.
Les amarres récupérées par les lamaneurs, le bateau correctement avancé dans l’axe de l’écluse, les  portes de l’écluse se ferment. Ce sont de grandes portes, de quinze à vingt quatre mètres de haut, de deux mètres dix d’épaisseur et  les plus lourdes pèsent six cent tonnes !

Commence alors une montée spectaculaire des eaux, dans des tourbillons et des turbulences qui obligent nos marins à tirer fort sur les amarres, à les bloquer aux taquets et à recommencer sans cesse cette opération, sur les ordres du pilote expérimenté.
Le catamaran monte, monte et atteint le sommet de l’écluse en une dizaine de minutes pour cette première écluse, ce sera un  peu plus long pour les autres. Les portes avant s’ouvrent, les turbulences dues aux hélices des moteurs du gros bateau devant nous chahutent encore un peu mais les marins sont costauds et le bateau reste bien dans l’axe.
Dans l’écluse parallèle à la notre, un immense bateau est, quant à lui, relié aux mules, genre de locomotives électriques circulant sur des rails qui assurent son déplacement latéral à l’aide de treuils.

Les deux écluses suivantes nous emmènent encore plus haut, au niveau du lac Gatun, que nous atteignons environ une heure après notre départ. Nous surplombons alors la baie de Colon, voyons les grues minuscules au fond de la baie et avons l’impression de flotter sur l’eau et en l’air !
Nous sommes tous fiers, impressionnés devant cette technologie  moderne et simple à la fois, déroutante car inconnue,  surprenante  et magique.
Nous accostons à une bouée, laissons notre pilote et passons la nuit au calme, malgré le bruit des singes dans la forêt proche.

Le lendemain, notre nouveau pilote arrive à six heures quinze, nous sommes levés depuis dix minutes seulement !
Ce pilote -ci, qui se prénomme Yvan, est nettement moins sympathique que Franklin,  il s’endort dès la traversée du lac engagée, change de place dès que le soleil lui tape sur la tête et repart dans les bras de Morphée.
Le  chenal est facile à suivre, les nombreuses bouées indicatives ne permettent pas de fantaisie mais Charles-Antoine et moi essayons néanmoins de couper quelques virages, histoire de faire ouvrir un œil au pilote relié par V.H.F. au bureau de contrôle des caméras de surveillance.
Nous naviguons durant une trentaine de kilomètres, au moteur et à une vitesse d’environ six nœuds, longeant quelques jolis petits ilots.
A onze heures, nous passons sous le pont du centenaire, puis arrivons à la première écluse. Cette fois-ci, c’est Paul-Alexis, blessé au doigt, qui prend les photos et sert les boissons, Franck et Charles-Antoine sont à l’avant du bateau, Jeannot et moi  aux amarres arrières.
Malgré leurs entrainements réguliers et leur championnat de lancer, mon lanceur est piètre viseur ou lanceur débutant et ne parvient qu’à la troisième tentative à faire atterrir sa pomme sur le bateau ! Du coup, le pilote, réveillé et un peu agacé, fait mon nœud de chaise à la hâte.
Cette fois-ci, l’eau descend, avec de légers remous qui ne perturbent pas trop la direction du bateau. Et le catamaran attaque une descente régulière mais significative. 
Nous devons, sans à-coup, laisser régulièrement filer les amarres, en veillant à ce que le bateau soit toujours bien maintenu, nous n’avons pas envie de le voir suspendu par les amarres !
La première écluse est loin des deux suivantes et nous récupérons nos amarres : une autre séance de lancement est donc au programme en début de deuxième écluse.
Ici, une caméra nous filme et la famille, prévenue par téléphone quelques minutes auparavant, peut nous voir franchir cette partie de canal en direct sur l’adresse  http://www.pancanal.com/eng/photo/camera-java.html
Inutile de vous dire que des inconnus visionnant cette séance ont sans doute été étonnés : Nous gesticulions, dansions, envoyions des baisers et agitions les bras comme des demeurés !
La troisième écluse franchie, les portes s’ouvrent sur l’océan Pacifique.

Sous le pont des Amériques, l’émotion et la joie sont palpables et notre voyage peut continuer, sur un nouvel océan à découvrir.
De joie, et pour gagner un pari, Jeannot se jette le premier dans l’eau. La manœuvre de l’homme à la mer parfaitement réussie par le capitaine, nous rions aux éclats et partageons un grand moment de bonheur.

LAS PERLAS.

Nous naviguons ensuite jusqu’aux îles de l’archipel Las Parles, situé sur la côte Pacifique du Panama, à quarante miles nautiques de Panama City.
Il comprend environ deux cent îles et îlots, dont l’île Contadora, très touristique et l’île Chapera, connue pour avoir été le cadre idyllique du jeu Koh’Lanta voici quelques années.
Nous mouillons dans la baie de cette plage de sable fin, y accostons, jouons aux aventuriers et y plantons notre banderole, clin d’œil préparé par Jeannot !
La plage de l’îlot Bartolomé, visible seulement à marée basse, est magnifique, entourée de cocotiers, de manguiers et de calebassiers.
La plongée,  aux abords de l’île Pedro Gonzales, est  difficile : les eaux sont troubles et le courant  inattendu, mais la rencontre avec les requins nous récompense largement.
Le poisson est abondant,  les pêches  à la traine et sous-marine tiennent toutes leurs promesses, des dauphins viennent nager près du bateau au mouillage. Le soir venu, des dizaines d’oiseaux se perchent sur les flamboyants et nous offrent un spectacle grandiose. Nous ne trouverons pas de perles dans les huitres, comme les Amérindiens au XVI ième siècle, mais nous passons une petite semaine de rêve, en famille, dans ce cadre féerique et reposant.