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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Levuka, Savu-Savu

Trois jours de navigation nous sont nécessaires pour la traversée des Tonga aux Fidji. Les vents sont forts, la mer est très agitée, tous les éléments se lient pour nous pousser vite, trop vite...

Nous franchissons l'anti- méridien ou ligne de changement de jour. Le GPS indique 179°59,999’ puis 180° 00,00’W et repart pour 179°00,01’ Est... Je ne crois pas que les marins fêtent habituellement le passage de cette ligne imaginaire, comme ils le font allègrement pour le passage de l'Equateur. Cependant, j'ai un petit pincement au cœur en pensant que depuis cet endroit, un tunnel sous mes pieds me conduirait directement en métropole...

En cas d'arrivée en dehors des horaires d'ouverture des bureaux des douaniers, les pénalités sont importantes et nous n'avons pas envie de débuter notre séjour dans ces nouvelles îles par le paiement d'une amende, vous vous rappelez sans doute que Patrick est auvergnat et que je suis ardéchoise...

Nous arrivons donc à Levuka, sur l'île d’Ovalau, un lundi à dix heures du matin, après avoir flâné en route et fais quelques ronds dans l'eau.
Aucun voilier à l’horizon !
En approchant, nous appelons les autorités locales. Après les salutations d'usage, elles nous permettent d'ancrer et nous demandent de mettre notre annexe à l’eau en attendant leur venue sur le voilier.

Un peu plus tard, Patrick fait un premier voyage pour conduire à bord la responsable de la santé, puis un second pour le chef de la biodiversité. Ces deux personnes sont fort aimables. Après quelques questions sur notre santé et sur les produits transportés, ils nous autorisent à garder nos fruits et légumes restants.
Nous pouvons désormais descendre à terre afin d'affronter les services de douanes et d'immigration.
Ceux-ci n'ont pas reçu le formulaire d'entrée envoyé des Tonga et nous devons à nouveau répondre au questionnaire d'arrivée, guidés cependant par un gentil couple de douaniers.

Finalement, malgré nos appréhensions, les formalités sont vite accomplies. Nous devons nous acquitter d'une taxe pour la biodiversité et d'une autre pour le ministère de la santé. Cette dernière doit être versée dans un bureau de l'hôpital, cela nous donne bonne conscience et me permet une première balade dans cette drôlesse de ville.
D'autre part, durant notre séjour aux Fidji, nous aurons chaque vendredi l'obligation d’indiquer par mail notre positon.

Levuka est l'ancienne capitale des Fidji, elle est classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Plusieurs bâtiments datent des années 1870, ils sont relativement bien conservés. La " Pigeon Post ", le premier supermarché, la première banque des Fidji, le premier gouvernement nous transportent dans un autre monde, nous nous croyons dans un décor de film sur la conquête de l’Ouest américain...

Pour notre grand bonheur, les fidjiens sont moins austères, moins timides et moins taciturnes que les braves tongiens que nous avons quittés. Ils sont vêtus plus gaiement, nous retrouvons de la couleur, des imprimés joyeux, des vitrines alléchantes....
Les dames ne sont cependant pas très féminines, souvent elles abhorrent une coupe courte, genre au bol et portent très peu de bijoux, nous sommes bien loin des vahinés de chez nous aux longues chevelures agrémentées de fleurs fraîches !
Un grand nombre semble parler anglais, un anglais scolaire qui nous convient à ravir, nous qui ne sommes pas de parfaits anglophones, loin de là.
Le tour de l'île d’Ovalau nous ravit, nous découvrons des plantations de kava, mais aussi de bois de santal et de thé local.

Nous restons trois jours à Levuka, ancrés près de la fabrique de boîtes de thon qui emploie plusieurs centaines de personnes. Des conteneurs de thon congelés arrivent directement des bateaux de pêche à l'usine, des citernes d'huile sont déchargées quotidiennement. Chaque soir, nous sommes largement gratifiés de relents d'huile et de poisson, comme si nous vivions calfeutrés dans une boîte de thon en conserve !

Nous nous rendons ensuite sur l'île de Vanua-Levu, dans la magnifique baie de Suva- Suva. Après un premier passage dans la marina éponyme, à la recherche désespérée de bateaux francophones, nous ancrons près de l'hôtel de Jean-Michel Cousteau.
L'endroit est féerique, bien entendu.
De petits bungalow entourés de verdure et de fleurs aux couleurs chatoyantes longent une plage de sable blanc bordée de palmiers.
Nous plongeons une première fois avec le club. Le service est plus que parfait : la serviette chaude en sortie de plongée, la petite bouteille d'eau délicatement ouverte, la gentillesse des guides de palanquée, la délicieuse douche chaude...c’est le luxe quatre étoiles !
De plus, le responsable nous permet d'utiliser les bouées du club pour nos prochaines plongées, il nous indique leurs emplacements et nous donne tous les renseignements nécessaires.

"Oui, mais alors, la plongée ?"

Voilà, nous sommes entrés dans un autre univers de fonds sous-marins. La première plongée est un peu déconcertante, nous cherchons encore les requins polynésiens et les gros poissons pélagiques.
Mais, très vite, nous changeons d'objectif, nous allons regarder la flore, les coraux et les petits animaux.
L'enchantement est alors à son comble ! Les gorgones, les fougères, les coraux mous aux formes et couleurs variées, les coraux durs, tout est un spectacle magique.
Les étoiles de mer sont bleues, les huîtres électriques envoient en ouvrant leurs coquilles des filaments rouges et bleus, les nudibranches jaunes ou oranges avancent lentement sur leurs rochers, les géantes coques se ferment à notre passage, les poissons clowns se cachent dans des anémones aux couleurs pastel....
Bien sûr, les poulpes, les perroquets, les poissons sont nombreux sur les patates de corail, mais nous nous habituons progressivement à regarder d'un œil nouveau la flore plutôt que la faune, à apprécier ce décor féerique, cet imbroglio de fleurs, tiges, feuilles, filaments et autres végétaux et coraux.

Le mauvais temps arrivant, nous nous réfugions sur une bouée, dans la marina bien protégée de Savu-Savu. Nous profitons sans modération des délicieux fruits et légumes proposés sur le marché, le tout à des prix dérisoires, des restaurants locaux, chinois ou indiens, des boutiques en tout genre.
Patrick s'offre une coupe de cheveux et un rasage local pour quatre euros.

Dans un parc public, des sources d'eau chaudes émergent du sol. Une colonne de vapeur nous indique leur emplacement. Des pierres sont posées autour des résurgences, comme encerclant un foyer. Des sacs de jute contenant du tarot et du poisson ont été mis à cuire le matin, ils seront récupérés au moment du repas.
Nous sommes impressionnés par ces gros bouillons d'eau brûlante. Trois mètres en aval, l'eau est encore tellement chaude qu'il est impossible de la toucher sans se brûler méchamment.
Sur la plage, par marée basse, des vapeurs d'eau sortent du sable et les enfants viennent patauger dans l'eau chaude à la sortie des cours.

Nous prenons le bus local pour nous rendre à Lavasa, une ville située à quatre-vingts kilomètres de là. Nous quittons vite le bord de mer et sa végétation tropicale pour arriver sur un plateau où nous voyons toute sorte de plantations : cocotiers bien sûr, pandanus, champs de canne à sucre, thé local, mais aussi champs de courgettes et autres légumes.
Des troupeaux de vaches broutent dans l'herbe grasse, au milieu des cocotiers. Le long de la route, des dames promènent des chèvres attachées par deux. Un homme âgé ramasse du bois, ses petits-enfants le suivent, chargés eux aussi de précieux fagots.

Des tracteurs et autres camions avec une cargaison imposante de cannes à sucre se rendent à la fabrique de sucre. Parfois les branches sont entières et posées en équilibre sur les remorques, parfois ce sont de petits morceaux qui emplissent les bennes.
Près de l'usine, nous sentons une forte odeur de sucre.
La file des camions attendant le déchargement est très longue et les chauffeurs patientent en dormant un peu, en papotant entre deux démarrages grâce auxquels ils avancent de quelques mètres.
Comme nous marchons le long de ces véhicules, beaucoup de chauffeurs veulent nous serrer la main, parler un moment avec nous et nous avançons aussi au pas....
Nous regrettons de ne pouvoir visiter l'usine mais comprenons aisément que la saison battant son plein, personne ne peut, alors que nous arrivons à l'improviste, interrompre son travail pour s'occuper de deux touristes curieux.

La fête nationale qui a lieu le 10 octobre se prépare, les vitrines se parent de drapeaux, de vêtements aux couleurs des Fidji, les guirlandes commencent à orner les rues....

Hélas, le mauvais temps continue de sévir et nos projets sont quelquefois contrariés, les prévisions météorologiques sont difficiles à comprendre, la direction et la force du vent varient sans cesse.
Toutefois, notre escale aux Fidgi nous enchante, les fidjiens sont tous d'une politesse extrême et d'une gentillesse notoire. Ils rendent notre séjour fort agréable et nous sommes très heureux de découvrir ces habitants d'îles si lointaines, petits points sur les mappemondes, au bout du monde...