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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Niuatoputapu premiers pas aux Tonga

L'expression souvent employée " Voyager au gré du vent et des rencontres" a pris encore une fois tout son sens. Nous n’avions pas pensé venir sur cette ile, nous ne l'avions même pas regardée sur les cartes et aucun de nos amis navigateurs ne nous l'avait conseillée. Cependant les forts vents d’ouest nous ont contraints de choisir une route Nord en partant de Niue et nous ont conduits jusque sur ce petit atoll au nom imprononçable.

De loin, aux premières lueurs du troisième jour d'une traversée un peu sportive, nous distinguons un haut caillou qui se dessine sur l'horizon.
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La barrière de corail se trouve en avant de ce monticule. La passe, un peu sinueuse, est bien indiquée et deux piliers d'alignement permettent de l'aborder en toute sécurité. Cependant, si les premières balises ont bien résisté au dernier cyclone, il n'en est pas de même pour les suivantes qui ne sont plus très visibles.
A l'avant du catamaran, je surveille les hauts fonds, précise les trajectoires et anticipe les changements de direction.
Nous atteignons le lagon, magnifiquement plat, d'un bleu idyllique, quel bonheur d'ancrer dans cette baie abritée et accueillante !

Patrick se rend au village voisin afin d'alerter les autorités de notre venue et obtenir une clearance d'entrée. Les deux fonctionnaires qui viennent à bord sont agréables, mais complètement engourdis. Nous ne savons pas d'où provient leur nonchalance, ils baillent sans discontinuité, nous posent quelques questions mais remplissent les cases avant d'avoir écouté nos réponses. Pour tamponner nos passeports, la dame doit produire un effort colossal et appuyer à plusieurs reprises sur le tampon qu'elle a extirpé avec peine de sa boîte en carton.

Sur l'île, les habitants sont vêtus de couleurs sombres, les couches sont superposées, les bras et les jambes sont rarement nus. Hommes et femmes portent une jupe en pandanus tressé appelée ta'ovala, par-dessus leurs jupes en tissu ou leurs pantalons. Les hommes portent aussi souvent des jupes longues, de couleur bleu- marine.
Les femmes travaillent le pandanus, elles coupent les feuilles, les font bouillir afin d'ôter les brindilles plus fragiles. Ensuite, assemblées en guirlandes, ces feuilles sont transportées sur le bord du lagon où elles trempent pendant une dizaine de jours. Elles obtiennent ainsi une couleur claire, mais doivent encore être mises à sécher, être soigneusement aplaties puis roulées en larges bobines prêtes à être vendues.
Chaque maison a son petit jardin où poussent tarots, ignames, patates douces. Des cochons vaquent en liberté autour des habitations, ils sont plutôt grassouillets contrairement aux chiens faméliques.
Nous sommes conviés à la fête de l'école où nous assistons à un spectacle peu banal.
Dans la salle, les mamans installées sur des nattes ont costumé les enfants et les ont enduits d'une abondante couche d'huile de coco. Ceux-ci dégoulinent de gras et se déplacent les mains loin du corps.
Les danses commencent de façon traditionnelle. Soudain, une maman se lève, sa guirlande de bolduc et de fleurs artificielles autour de la taille. Elle se dirige vers la scène, un billet à la main.
Nous sommes un peu étonnés !
Une fois sur scène, elle fait quelques pas de danse et vient aplatir avec force son billet sur la peau de la petite danseuse, le billet se colle, elle est toute contente !
Une maman les rejoint, puis un papa et ainsi de suite. Tous essaient de coller les billets mais peuvent aussi les poser sans délicatesse, les coincer dans les coiffures, bref, c'est le grand bazar !
A la fin de la danse, les billets jonchent le sol, l'institutrice les ramasse et les compte.
Plusieurs danses se succèdent, avec plus ou moins de réussite, mais les familles sont, nous semble-t-il, plutôt généreuses.
C'est une fête d'école sans gâteaux maison, sans boissons ni billets de tombola, sans rien à vendre ni à acheter. (Nous n'avons pas vu de magasin dans cette ile, un bateau vient simplement la ravitailler une fois par mois.)
Au fond de la salle, les hommes se sont regroupés, assis à même le sol autour d'une cuvette en plastique. Ils m'interpellent, j'approche.
Ils me tendent alors une noix de coco dans laquelle ils me servent une louche de liquide contenu dans la cuvette.
Cette boisson, de couleur marron très sale dans laquelle semblent flotter quelques particules douteuses ne m'inspire guère ! Tous ont déjà bu dans la noix de coco, mais je n'ai pas le choix.
Je sens qu'ils m'observent du coin de l'œil et je vois leurs dents en or lorsqu'ils sourient.
J'avale en deux ou trois petites gorgées, je ne risque pas grand-chose finalement, je vais leur faire plaisir car ils ont accepté que je les photographie.
J'ai l'impression que ma bouche se paralyse, que mes lèvres enflent mais je ne manifeste pas d'émotion particulière, je les remercie et je retourne m'asseoir.
Je sens monter en moi une fièvre et une nonchalance inhabituelles, je reste tranquille....
C'était mon premier kava, je ne l'oublierai pas !
Cette boisson est obtenue avec la racine du kava, mâchée (j’espère que ce n'était pas le cas), ou broyée. La pâte est ensuite séchée au soleil, rallongée avec de l'eau et mise à macérer.
Ses effets sont ceux d'une drogue légère, je manque certainement d'entraînement...

Le soir venu, depuis le bateau, Patrick pêche des carangues dont les filets frits nous régalent. Une après-midi, pour changer un peu de menu, nous décidons de partir au large pêcher à la traîne.
Nous commençons nos allers et nos retours lorsque je crois apercevoir une baleine. Pas de chance, ce n'est qu'une DCP jaune qui flotte. L'effet du kava est encore présent, il n'existe pas de baleine jaune !
Mais quelques minutes plus tard, je suis sûre de moi, une baleine est là, toute proche ! Patrick remonte en toute hâte le fil de pêche, nous arrêtons notre moteur.
En fait, ce sont trois baleines qui évoluent calmement à quelques dizaines de mètres de notre frêle embarcation, de plus en plus frêle à mesure que les baleines se rapprochent de nous...
La plus grosse des trois, qui doit mesurer plus de dix mètres, est la maman, elle est couchée sur le flan, la nageoire caudale en l'air et allaite son bébé de plus de quatre mètres et de plusieurs centaines de kilos. Le baleineau tête goulûment, perpendiculaire au corps de sa maman. La troisième baleine de taille moyenne, semble monter la garde et décrit des allers et des venues autour d'eux.
De temps en temps, elles soufflent et les jets nous envoient quelques gouttelettes et des relents nauséabonds.
Patrick remet le moteur de l'annexe en marche et nous nous éloignons un peu, les baleines ne bronchent pas, elles savent que nous sommes des gentils, je n'ai même pas mon appareil photographique.
Une demi-heure plus tard, le repas est terminé, les trois cétacés soufflent, puis plongent en déployant devant nous leurs bosses, leur dos puis leurs queues.
C'est un instant magique, le temps s'arrête, comment ces animaux de quarante tonnes environ peuvent-ils se mouvoir avec une telle grâce ?

Nous avons profité de chaque seconde de ce spectacle, comme choyés par la vie, privilégiés personnages au milieu de nulle part, conscients aussi de la fragilité de cet équilibre.
Les Tonga sont un sanctuaire pour la reproduction des cétacés, il est normalement interdit de les approcher sans équipe expérimentée, mais nous aimons, en bons latins, dépasser un peu les limites.
Nous coulons encore quelques jours heureux à Niuatoputapu, en compagnie de deux bateaux francophones, puis nous nous préparons à reprendre la mer pour Vava'u, un archipel tongien plus au Sud.