en_tete
S.D.F.

Télécharger le livre
De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Maupiti, l'île nature.

L'évocation même de Maupiti fait trembler et rêver les nombreux navigateurs du Pacifique.
La passe d'entrée dans le lagon est en effet très difficile d'accès. Par vent du sud,  des courants de huit ou neuf nœuds  sortent de ce goulet étroit et sinueux.
Bien renseignés, nous décidons de la prendre au petit jour, par vent de nord-est et nous  nous présentons  devant l´ile à six heures, après une nuit de navigation depuis Tahaa.

 Robinson, un habitant d'un petit motu, vient nous attendre en pirogue. Il nous ouvre le passage, nous montrant le chemin, légère cassure  de la barrière de corail, profonde de sept mètres.
Des deux côtés, nous admirons, un peu inquiets tout de même, les deux motu d'entrée, leurs plages, leurs habitations coquettes, et le premier coup d'œil est déjà un grand moment de plénitude!
La passe franchie, sereins et heureux, nous continuons aisément la navigation dans le lagon bien balisé et posons notre ancre sur trois mètres de profondeur, dans le sable, à proximité du village.

Située  à cinquante kilomètres de Bora, Maupiti est une ile de douze kilomètres carrés, surplombée par le mont Te Uru Faatiu à 385 mètres d'altitude.
Le lagon abrite cinq grands motus, bordés chacun par d'immenses plages de sable blanc, abritant de nombreux marae familiaux.

Un massif volcanique surplombe à pic le village de Vaiea, et nous avons l'impression de retrouver notre Dent de Crolles,  imposant rocher à  silhouette de dent, à proximité de Grenoble…

L'ascension du Mont Pahahere, balade de deux heures et demie, nous coupe deux fois le souffle, dans l'escalade des falaises abruptes et par la beauté des paysages, à l'arrivée.
Le lagon aux multiples couleurs, la passe, les motus parsemés de cocotiers, sont autant de tâches de divers bleus, verts, beiges réunis en un puzzle aux contours bien définis, dont la splendeur nous ravit et nous émeut.
Je n'ose m'aventurer trop prêt du précipice pour photographier, mais tenant  mon appareil à bout de bras, j'essaie de surplomber notre voilier, tout petit, là-bas, dans le lagon!
Les couleurs varient suivant l'ensoleillement, passant du très clair au plus foncé, mais les nuances obtenues sont autant de visions magiques et les mots nous manquent pour décrire ce tableau incroyable, la beauté de cette nature que nous ne cessons d'admirer.

Les pique- niques sur le motu sont de grandes parties de plaisir, nous faisons cuire des fruits de l'arbre à pain dans le feu de bois, nous nous régalons de fruits, ananas, bananes, pastèques, papayes...
Assis dans trente centimètres d'eau chaude et transparente, nous trempons et papotons  joyeusement, jouons avec les enfants et refaisons un  tout petit peu le monde, car le nôtre frôle déjà la perfection, avec un soupçon d'indécence !

Sur la barrière de corail, les bénitiers sont nombreux et nous les préparons crus et citronnés, cuits à l’ail, avec ou sans crème...
Les raies pastenagues abondent ici et sont facilement pêchées dans le lagon, mais nous n'en feront qu'un seul repas, par goût et par déontologie, le bonheur de les apercevoir et de les admirer l'emportant sur notre appétit!

De grandes raies manta de quatre mètres d'envergure ont trouvé non loin du bateau un imposant rocher sur lequel elles passent et repassent. Des petits poissons, habitants de cette patate de corail, pénètrent dans leurs branchies et les nettoient de leurs parasites.  Blottis contre cette station de nettoyage, par huit mètres de fond, nous sommes aux premières loges et très proches de ces majestueuses bêtes, au déplacement si élégant, si léger malgré leurs imposantes tailles!

La navigation en kayak tient toutes ces promesses, et au-delà.
Avec Régis et Laurent, mes deux acolytes sportifs et parfaits gentlemen, nous partons pour de longues virées dans le lagon, longeons les fausses passes et, par une belle journée peu ventée, nous ferons le tour de l'île, expédition de plusieurs heures dont nous reviendrons émerveillés et un peu fourbus.

Les habitants tiennent haut et fort les couleurs de la Polynésie, leur accueil, leur gentillesse, leurs sourires sont au diapason de leur générosité. Des légumes, des fruits nous sont gentiment offerts et une dame me fait cadeau d'un magnifique chapeau qu'elle vient de réaliser avec des feuilles de pandanus.

Robinson et sa famille nous reçoivent un dimanche midi pour déguster un délicieux four tahitien. Thon mariné, chirurgien, bec de cane, poisson cru,  poulet, tarot, bananes, fruit de l'arbre à pain, poe de potiron, tout a été cuit de longues heures sur les pierres chaudes du four, entre deux couches de feuilles de bananiers.

Pêcheurs et jardiniers, les habitants vivent en harmonie, respectant les différents  courants religieux, les traditions et les envies de modernisme de la génération montante.

Au temple, nous sommes accueillis avec des colliers de fleurs et ici aussi, les chants débordants de ferveur, de foi, de rythme et de puissance se mêlent aux senteurs des fleurs, aux sourires, aux toilettes élégantes et colorées pour un culte animé, vivant et sincère.

Le village ne dispose pas de cimetière municipal et  devant chaque maison se trouvent les tombes familiales, fleuries et bien entretenues.
Une dame nous invite à entrer dans sa maison admirer ses colliers de coquillages, elle nous présente son mari, mais nous ne voyons personne! Stupéfaits, nous  découvrons une tombe avec une croix  fleurie. Non, nous ne rêvons pas ; l’époux est bien là,  mais enterré à côté du lit une place!
Bouleversés et un peu choqués, nous sortons sans rien acheter.

Sur cette ile sans hôtel, sans restaurant et sans bar, les habitants ont choisi de poursuivre  la pêche artisanale,  la culture maraîchère et diversifiée,  le tourisme à faible dose, en recevant quelques touristes privilégiés dans des pensions de famille de petite taille.

Cet art de vivre raisonné, le lagon extraordinaire, les flancs acérés de la montagne, la végétation  tropicale  en font un des plus beaux endroits de la planète, le cœur de la Polynésie, joyau incontestable et sans doute méconnu  du Pacifique.