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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Noël à Makemo

À  deux reprises, les années précédentes, nous avions planté notre ancre devant Pouheva, le village principal de cet atoll des Tuamotu. Cette escale, sur la route des Marquises, nous permettait de nous réapprovisionner en vivres et carburant puis d'attendre une météo favorable afin de rejoindre Nuku- Hiva lors de notre premier tour et Raroia l'année dernière.

Cette fois, tout semble différent: nous venons de passer une bonne dizaine de jours dans l'Ouest de l'atoll et nous prenons notre temps, contraints mais non forcés par une météo changeante et capricieuse, par des vents forts et contraires pour notre route prévue, des dépressions inquiétantes arrivant de l'Ouest ou, entre deux perturbations, un calme plat peu engageant.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous décidons de rester bien à l'abri et de profiter sans parcimonie des activités que nous offrent cette île et ses habitants.

La marche à pied débute tôt le matin, en compagnie de copines motivées, sur la seule route, interminable ligne droite bordée de cocoteraies entrecoupées par quelques maisonnées bien entretenues.
Les seuls dénivelés sont  de légères grimpettes dues  aux trois dos d'âne rencontrés, les arrêts bavardages, achats de légumes et contemplation lagunaire  nous permettent de marcher environ onze kilomètres en deux heures et demie bien sonnées.

Les eaux du lagon sont généralement calmes et nous nous régalons en parcourant  de longues distances en kayak, en longeant la terre. De petits poissons sautent à l'avant de nos embarcations en bandes argentées, de petites criques abritent nos baignades, et les magnifiques couchers de soleil accompagnent nos rentrées tardives...

Les garçons se familiarisent avec une pêche traditionnelle de ces îles: la pêche au harpon.
Avec Océan, le pêcheur local, ils embarquent sur un " potimarara ", barque au moteur assez puissant.
Le pêcheur expérimenté surveille les oiseaux du large, les poissons blancs tournoyant d'une certaine manière annoncent la présence de la dorade locale, le mahi-mahi.
La procédure suivie paraît assez simple, elle est en fait très technique et très décoiffante!
Lancé à vive allure, le bateau rattrape le poisson, le poursuit en le fatiguant le plus possible, et en le gardant toujours à portée de vue.
Franck, puis Patrick, armés du harpon, malgré les vagues et la vitesse, se maintiennent debout, prêt du poisson, le visent  avec la lance affûtée.
Evidemment, les premiers essais sont infructueux mais, à force de persévérance et d'amour propre,  ils ramèneront chacun un spécimen d'une vingtaine de kilos, ainsi que des coups de soleil, des courbatures et des étincelles au fond des yeux...

La passe du village est nettement moins jolie que celle, sauvage et peuplée  de l'Ouest, mais les plongées y sont agréables, et Alain, notre chef  sécurité surface grand luxe nous accompagne volontiers.

Au village, les festivités de Noël se préparent, des concours sportifs sont organisés et une grande fête est prévue  à laquelle tous les habitants sont gracieusement conviés.
Les premiers préparatifs sont la décoration de la mairie, où se tiendra un mariage la semaine précédant Noël.
Les employés communaux rivalisent de gentillesse, de patience et m'enseignent volontiers les arts du tressage, dont je connais déjà certains rudiments.
Assis par terre, en écoutant les chansons populaires et les premiers chants de Noël à la sauce polynésienne, nous tressons de grandes feuilles de cocotiers afin d'obtenir avec plus ou moins de réussite, palmes, chapeaux, sapins de Noël et autres figures symboliques.
Les ouvrages réalisés restent verts quelques jours puis prennent une couleur paille et le mélange de ces deux teintes sera utilisé pour mettre en valeur chaque pièce.

 Pour préparer le gargantuesque repas digne de celui du village de Panoramix, les bénévoles sont  les bienvenus et nous aidons volontiers les ouvriers communaux.
Me voici donc armée  d'un grand couteau pour découper des cubes de thon fraîchement pêché, j'enfile également  des morceaux de cœur de veau pour des brochettes, j'épluche  et découpe des aulx, des concombres,  des choux, des carottes qui seront râpées, des tomates...,
Dans la joie et la bonne humeur, en bavardant avec les uns et les autres, les cuvettes de légumes s'amoncellent vite, les quantités sont phénoménales, l'appétit des polynésiens n'est pas  commun!

Le jour J arrive vite, et les dames de la mairie ont supplié Patrick d'être le Père -Noël des enfants.

Déguisé, chargé d'une hotte en tissu garnie de bonbons, il est promené, tel le roi Pomaré V, dans un V6, sur lequel cinq gaillards ont pris place.
La pirogue parcourt le lagon en cachette des enfants occupés à chanter et danser.
Lorsque la pirogue est en vue, les enfants se précipitent sur la rive en hurlant: " Papa Noël, Papa Noël!"
Sous les applaudissements, Patrick est royalement installé, une file d'enfants se forme pour l'embrasser et recevoir un petit paquet de bonbons.
Certains enfants pleurent, d'autres ne sont pas rassurés, mais les mamans consolent et rassurent, comme toujours!
Lorsque les adolescents, puis les jeunes adultes se précipitent à leur tour, notre Père Noël essaie de tendre la main, mais les bises pleuvent de toutes parts, des belles danseuses aux grands costauds, tous désirent embrasser le héros du jour!
Ensuite viennent les danses et  les chants pendant que les enfants se restaurent.

Puis le repas des grands est gentiment  servi par les membres des associations sportives: brochette de cœur de veau, poisson cru, riz aux légumes, flageolets, veau cuit à la broche, les assiettes sont évidemment trop garnies pour nos appétits de « popas ».
La soirée se poursuit en musique, puis en comité restreint sur un bateau copain, sur lequel le rhum  se déguste...

Patrick, quant à lui, ne manque pas d'occupations : au snack du village, il s'est lié  d'amitié avec Pascal à qui il a appris la recette des petits choux caramels.
Mais le bruit a couru vite et les habitants se pressent pour acheter ces pâtisseries, ce qui l'oblige à récidiver le lendemain, puis quelques jours plus tard.
Il confectionnera également les buches de Noël,  les mêmes que celles de Meylan, biscuit roulé garni de crème chocolat et recouvert de ganache.
Heureusement, de gourmands volontaires l'aident au décor, au nettoyage des marmites et ustensiles...
Pour la première fois, des buches sont préparées  sur l'île. Le  chocolat, les boîtes, les décorations sont arrivés de Papeete par avion, en commande très spéciale, le snack devient le rendez- vous des curieux et des gourmands.
Avec l'aide d'un équipage savoyard, Patrick réalise également quelques dizaines  de truffes qui régaleront tous les marins de la baie, après bataille de chocolat fondant et de cacao poudre!

La veille de Noël, je confectionne, avec les paroissiennes et une copine très douée, des bouquets de fleurs tropicales et de verdure afin de décorer l'église du village où aura lieu la messe de Noël.
Ce sera une belle cérémonie, émouvante et très vivante, les chants et le sermon nous enchantent et feront même monter quelques petites larmes...
Puis nous nous rendons tous au snack où un délicieux repas nous a été préparé: carpaccio de thon jaune, gratin de brocolis, haricots verts, frites maison et dinde, buche au chocolat ...

Hélas, le lendemain de Noël, c'est à l'infirmerie que nous nous rendons, pliés en deux par des courbatures douloureuses, fiévreux et en piteux état, nous avons tous les deux  le chikungunya, virus transmis par le moustique tigre et ayant déjà contaminé la moitié des villageois.

Malgré l’absence  de notre famille et de nos amis terriens que nous avons pu cependant tous joindre au téléphone, nous avons passé un  excellent Noël à Makemo, où nous avons été accueillis à la Polynésienne et d'où nous repartons pour Hao, un nouvel atoll à découvrir...