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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Maupihaa

Sur la route de l’ouest, à une grande journée de navigation, se trouve l’atoll de Maupihaa, que l’on peut aussi nommer Mopelia. Une escale s’impose !

La passe, étroite et pourtant réputée dangereuse, ne nous présente aucune difficulté lors de son franchissement : le courant est faible, le mascaret peu important et, comble de chance, un bateau de pêche rentre du large. A son bord, deux habitants fort accueillants nous ouvrent la voie, nous indiquent une bonne place pour planter notre ancre. Ils nous souhaitent la bienvenue et nous invitent à la soirée d’anniversaire du plus jeune, prévue le soir même.
Oui, vous avez bien compris, nous sommes encore en Polynésie.

Sur cet atoll, vit une dizaine de familles. Loin de tout, ravitaillées uniquement par les voiliers de passage et par la venue épisodique d’une goélette, ces familles sont organisées pour la vie en quasi autarcie.
Bien sûr, dans leur maison, pas de frigidaire, pas de salle de bains, la vaisselle se fait dehors, les toilettes sont à l’extérieur, la douche aussi.
Un panneau solaire ou deux permettent l’utilisation d’un lecteur de DVD ou celui d’un ordinateur portable ne servant qu’à la lecture du film quotidien.

Leurs repas sont peu variés, la pêche est journalière, le lagon fournit toutes sortes de poissons comestibles, la pêche au filet sur le platier est pratiquée les jours de mer calme et la pêche à la traîne dans l’océan est souvent abondante.

En plus du poisson, la nature offre d’autres sources de protéines, les crabes de cocotiers sont nombreux, les langoustes courent sur le platier, les sternes pondent sur les motus environnants.

Chaque jour, le poisson est donc cuisiné au feu de bois, ou grillé façon barbecue.
Il est accompagné de riz ou de pâtes. Les paquets de spaghettis ont le plus gros avantage poids/ place occupée dans les cartons et ont par conséquent la faveur des estomacs.
Certains jardinent un petit coin de leur terrain mais le sol corallien n’est guère propice à la culture maraîchère. Les déchets de cuisine, les restes de poisson fournissent un engrais indispensable au jardin. Tous élèvent un ou plusieurs cochons qu’ils nourrissent aux noix de coco.

La culture du coprah est leur seul travail, et occupe tout leur temps, toute leur énergie et celle de chaque membre de la famille. Une jeune fille de dix ans et son frère de dix- sept travaillaient ainsi de longues heures, dans la chaleur, à trier, couper et étendre les noix de coco.

Lorsque tous les sacs récoltés représentent un poids total de quinze tonnes, la présidente de la coopérative, qui fait un peu office de cheftaine de l’ile, appelle par connexion satellite l’île voisine de Maupiti.
La goélette arrive une semaine plus tard, si l’état de la mer le permet, livre les colis de nourriture et autres denrées envoyés par les familles et embarque le fruit de longues semaines de travail difficile.
Sur le prix obtenu pour le coprah, la déduction des colis de nourriture est déjà comprise, pas de mauvaise surprise !

Nous sommes le seul bateau dans l’île une semaine durant et « adoptons » Parua, le frère d’un habitant venu en gardien de maison, de cochons et de chiens.
Il ne travaille pas beaucoup et nous rejoint sur le bateau pour le café de mi-matinée. Il arrive chaque jour avec des noix de coco fraîchement cueillies, prêtes à boire, il connaît ma petite faiblesse.
Ensuite, Patrick et lui partent pêcher à la traîne ou au fusil et les poissons abondent.
Bien sûr, de retour de pêche, des arrêts dans plusieurs maisons leur permettent de distribuer les dernières prises et de faire des heureux.
Je confectionne également quelques conserves de thon.
Parua est toujours en action, il prépare le poisson, cuisine les bénitiers à la sauce safranée, râpe les noix de coco et nous prépare le lait de coco pour le poisson cru...
Avec lui, nous partons à la récolte des œufs de sternes. Nous traversons le lagon en annexe, ancrons non loin d’un petit motu. Arrivés sur le motu, je suis un peu effrayée par les piaillements incessants de milliers d’oiseaux. Ils n’ont pas l’air très heureux d’être dérangés, cela se comprend aisément.
Les œufs sont à même le sol, nous trempons chacun d’entre eux dans un seau d’eau de mer et ne conservons que ceux qui ne flottent pas. Certains oiseaux ont du mal à décoller, je n’insiste pas mais Parua, en véritable cueilleur, insiste et pousse carrément la maman ou le papa oiseau.
Les œufs sont ensuite disposés avec précaution dans un second seau, entre des couches de feuillages.
Nous apercevons des oisillons frégates dans leurs nids, certains viennent juste de sortir de leurs coquilles, d’autres, plus âgés et recouverts de duvet, attendent la becquée avec impatience, nous essayons de les déranger le moins possible.
Notre récolte achevée, le plus difficile reste à faire. Le vent s’est levé, la marée est montée et rejoindre notre embarcation est un premier exercice assez sportif, nous rendre jusqu’au bateau dans les vagues de face sans faire une géante omelette tient du miracle !
J’utiliserai ces œufs, au jaune orangé pour confectionner des gâteaux, la mayonnaise, et les quiches à la langouste façon « Buena Vista » dont Parua se délecte.

La chasse au crabe de cocotier, de nuit, est aussi un moment incroyable. Dans la cocoteraie, entre les troncs couchés, les racines diverses, les feuilles glissantes, j’essaie tant bien que mal de suivre les garçons. Les insectes en tout genre se collent sur mon visage trop éclairé par la lampée frontale, j’entends des bruits inquiétants, je panique un peu lorsque je perds de vue les lumières de mes compagnons.
Patrick me conseille aussi de ne pas regarder en hauteur de peur que la lumière n’attire les oiseaux, un d’entre eux vient de lui foncer dessus et il tient désormais sa lampe à la main, dirigée devant lui.
Des crabes passent devant nous, mais Parua ne veut pas que nous ramassions les trop petits, de taille pourtant identique à ceux que nous récoltions aux Tuamotu. Soudain, nous entendons un cri de victoire. Parua vient d’apercevoir un énorme crabe rejoignant tranquillement son trou. Il ne reste qu’à trouver la deuxième sortie de la cachette, y introduire une branche et d’attraper le crabe curieux.
Facile à dire, j’en tremble encore ! Le crabe est énorme, ses pinces pourraient facilement briser un doigt mais Parua est habile et expérimenté. Le crabe est fermement saisi par la carapace et tenu à bout de bras par notre vaillant chasseur.
Ce crabe là est le plus gros qu’il n’aie jamais ramassé et il pense se confectionner un collier avec les pinces de bonne taille.
Nous le dégustons ensemble sur le bateau, accompagné de riz de mayonnaise et d’Hinano, c’est la fête !

Patrick vaque à de nombreuses occupations à terre, il aide à la réparation du filet de pêche, comme un bon marin expert en noeuds, remplace les bougies usagées du moteur du bateau de pêche, charge des clefs USB de films. Il prête des outils et l’air des bouteilles de plongée sert au gonflage des pneus de l’unique tracteur de la coopérative, bref, la vie de partage et d’échange comme nous l’aimons.

Pendant ce temps, je me promène. Un seul chemin traverse l’île en longeant la côte, il fait environ huit kilomètres de long mais je n’ai jamais pu faire l’aller-retour. Trop souvent, j’étais stoppée net dans ma balade, un habitant m’invitant à venir boire une noix de coco avec lui ou à papoter un moment.
Devant tant de gentillesse, comment ne pas s’arrêter pour leur parler un peu de la vie, de la coupe du monde que la France vient de remporter alors que personne ici ne sait que la compétition a eu lieu, mais aussi pour écouter leurs petites histoires de voisinage, leurs peines de cœur...
Lorsque nous décidons de partir, Parua nous confectionne un énorme pain coco dont nous nous nourrissons cinq jours, notre poubelle est pleine de noix de coco et la présidente de l’ile nous a offert quatre grosses papayes, cadeaux précieux.
Cette fois, c’est fait, le bateau est prêt, les adieux sont déchirants, un nouveau voyage commence.