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S.D.F.

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De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

LES MARQUISES: NUKU-HIVA, LA GÉNÉREUSE.

Contre un vent d'Est assez puissant, contre une houle croisée un peu chahuteuse et contre courants, nous arrivons aux Marquises fin décembre.
En effet, la saison cyclonique approchant, nous avons du quitter les Tuamoutu pour nous réfugier sur cette partie de la Polynésie épargnée par les violentes dépressions et autres éventuels cyclones.
Les yeux emplis des bleus lagons, nous sommes plongés dans l'univers des verts et avons du mal à lever la tête pour apercevoir la cime de ces hautes montagnes, habitués depuis septembre aux points culminants de moins de six mètres d'altitude.

Nous mouillons à Taiohaé, capitale des Marquises, surplombée au Nord par le Mont Muake d'une altitude de 845 mètres.
Encerclée de falaises abruptes entrecoupées de vallées verdoyantes, la baie est assez calme ; le mouillage, un peu rouleur par vent de sud, est vaste et confortable. L'accès au ponton est pratique et les premiers pas sur le "petit quai" sont une récompense, après la traversée depuis Makemo.
La ville, de mille cinq cent habitants, accueille toutes les administrations et la plupart des commerces de l'île.
Une gendarmerie, un hôpital, une prison avec deux prisonniers et un gardien prenant ensemble le frais devant la porte, une magnifique cathédrale, un important marché artisanal, la bourgade est en tout point joyeuse, dynamique et nous participons avec enthousiasme aux concours de pétanque, et  à la  soirée spectacle organisée par une association, occasions pour nous de palper de l'intérieur l'ambiance marquisienne.

Nous passons les fêtes de fin d'année dans la joie, retrouvant avec plaisir Anaïck et Boris, du voilier Eridou1, que nous avions rencontrés à Panama. Ils nous accueillent chez eux, nous présentent leurs nouveaux amis, marquisiens et métropolitains, et nous partageons repas de fête, soirée de réveillon et premiers paniers de fruits.

La nature, ici, est d'une générosité sans pareille. Dans les vallées, les arbres fruitiers sont nombreux : arrosés régulièrement par de petites pluies, profitant d'une terre volcanique très riche, ils produisent plusieurs fois par ans des récoltes spectaculaires.
Nous nous régalons de pamplemousses, bananes, mangues, papayes, ananas, caramboles, pastèques, melons, corossols...
Nous mangeons de gros avocats, mûrs à point que nous cueillons à l'aide d'un panier attaché à une perche en bambou.

Nos amis marquisiens nous emmènent dans ces couloirs de verdure, où chacun peut se servir, les terres appartenant pour la plupart aux domaines, ou sur des sites archéologiques, sur lesquels des arbres fruitiers sont entretenus par les ouvriers communaux.

À  Anaho, nous visiterons également un jardin potager, après une belle randonnée  le long de deux plages et dans la colline. Marie- Louise et son mari nous ferons goûter un fruit de chacune de leur production, et nous rentrerons les sacs à dos remplis de melons, poivrons, aubergines,  citrons et autres présents ...Le retour, du coup, sera moins aisé, mais nous nous rendons compte de l'exploit et du travail de ces deux maraîchers, aucune route ne dessert  leur exploitation et c'est à dos de cheval que toute leur production est acheminée vers Hatiheu.

Nous nous régalons avec les salades de fruits, les jus de fruits frais, les repas et en- cas, et nous confectionnons aussi toutes sortes de gelées et de confitures.
Les bananes mûrissent assez vite sur les régimes et nous les séchons au soleil, obtenant ainsi une excellente provision fruitée pour nos navigations futures.

Mais les marquisiens, gros mangeurs, ne se nourrissent pas essentiellement de fruits et légumes, la chasse et la pêche font partie intégrante de leur vie, de leur culture et de leurs traditions.
Avec Richard, Patrick s'essaie à la chasse à la chèvre, dans les coteaux escarpés de Haatuatu. Ici, les munitions sont rares et précieuses, mais Patrick rate sa cible!
Quant à Richard, avec trois balles, il nous rapporte trois chèvres sur le bateau ; n'est pas marquisien qui veut!
La chasse au cochon, pratiquée avec les chiens et au couteau, est plus  spectaculaire, mais nous n'y avons pas encore participé, cela ne saurait tarder !
De nombreux pêcheurs partent régulièrement en mer et rapportent sur le quai de savoureux poissons: thons, mahi-mahi, carangues, thazards, saumons...
Dès la nuit tombante, les langoustes et les cigales sont cueillies  sur le sable par les plongeurs apneïstes.

Vous l'avez compris, la nourriture, aux Marquises, est une affaire très très sérieuse et un des premiers mots que nous apprendrons en langue marquisienne est " kai-kai", le repas.
Leur appétit est au diapason de leur cœur, grand ouvert. Nous serons estomaqués de les voir dévorer des assiettes débordantes, se resservir en appréciant la chèvre au lait de coco, le cochon au miel, le fruit de l'arbre à pain, le poisson cru au gingembre, autant de spécialités culinaires dans un même kai- kai!
Et pour les kai-kai de fête, qui rassemblent famille, amis et gens de passage, ce sont un veau, un cochon et deux ou trois chèvres qui tournent sur les broches.

Respectueux de leurs traditions, fiers de leur culture et de leur identité, les marquisiens perpétuent un artisanat varié, authentique, riche en couleurs et nécessitant une patience et un savoir- faire transmis de génération en génération.
Les graines, de formes et couleurs différentes, permettent la réalisation de bracelets, colliers et autres parures. Les plus imposantes sont habilement gravées, et ornent les plus grosses pièces.
Les os de cochon, chèvre, cheval, les vertèbres de requin, les dents de cochon, notamment les canines, sont autant de bijoux marquisiens, sculptés  délicatement et assemblés avec  goût.
Les coquillages, porcelaines, casques, murex, sont ramassés, nettoyés, polis, huilés et permettent la réalisation de boucles d'oreilles, porte- clés, colliers et bracelets et ornements divers.
Le tissage est pratiqué par les dames et feuilles de pandanus ou de bananiers se transforment en  chapeaux, sets de tables, sacs à main ou cabas à provisions...

Nous passons beaucoup de temps à terre, mais, dès que les vagues se calment, nous partons plonger. À l'aplomb des falaises, se trouvent des grottes plus ou moins grandes, peuplées de langoustes, de cigales et habitées par des bancs de petits poissons.
Précautionneusement, avec torches puissantes et fil d'Ariane, nous pénétrons dans ces cavités parfois profondes, pour y admirer cette faune et cette architecture bien spécifique.
Nous plongerons également aux extrémités des baies où requins marteaux,  requins soyeux, raies Manta viennent  nous faire de petites visites.

A part quelques exceptions, Apataki ou Anaho,  la baignade, dans les baies où nous mouillons, n'est pas agréable car  l'eau, riche en plancton et en suspensions, n'est pas suffisamment claire.
Mais, par contre, nous assisterons à un merveilleux spectacle dans la baie de Tapivaï, lors d’une nuit de lune noire. Le plancton phosphorescent, abondant, éclaire chaque crête de vague, chaque tapotis d'eau sur les rochers, chaque déplacement de poisson ou de raie. Nous passerons une grande partie de la nuit sur le filet, ébloui par ce feu d'artifice  et Patrick aura le luxe de voir sauter les raies Manta, dans un halo de lumières fluorescentes, moment féerique inédit!

Nous venions aux Marquises un peu contraints par la météo, nous partirons des Marquises  enchantés de notre contact avec ces îles, mais surtout avec ce peuple.
Que de sourires, de gentillesses, de petites attentions et de cadeaux journaliers! Ces gros bébés, qui semblent en premier lieu un peu rudes, de part leurs tatouages, leur carrure, leurs colliers féroces, leurs chevaux qu'ils montent sans selle et qu'ils attachent devant les boutiques comme des cows- boys, possèdent des cœurs en or, et  une générosité à toute épreuve.
Leur temps n'est pas compté et ils peuvent nous parler longtemps des légendes de la vallée, des recettes anciennes, des histoires de pêche et de chasse...

 Dans quelques jours, nous quitterons cette île pour en découvrir une autre, non loin, mais reviendrons saluer régulièrement nos amis marquisiens et métropolitains, appelés « franis » ici, et partager chaque journée comme un cadeau du cœur, chaque instant comme un éclat de rire et y croquer la vie comme un fruit bien mûr.