en_tete
S.D.F.

Télécharger le livre
De la burle aux alizés

Saltimbanques Des Flots

Passe Tapuhiria

À moins que vos amis ne soient tous agrégés de géographie, qu'ils soient  paumotus ou aventuriers- plongeurs, vous avez, c'est certain, rarement entendu parler de ce lieu autour d’un repas de fin d'année!
Mais voilà, vous avez, par chance, une copine qui voyage, qui plonge et qui raconte, vous pourrez donc essayer de placer dans la conversation, entre le foie gras et les huîtres .., le nom de cet endroit magique...

Cette passe, passage d'eau traversant la barrière de corail, se trouve au Nord-Ouest de Makémono.
Makémono, atoll des Tuamotu, le troisième par sa taille, est situé par 16 degrés et 26 minutes Sud et par 143 degrés et 56 minutes Ouest.
Cette île s'étend sur soixante-cinq kilomètres de longueur, sa largeur varie entre cinq et huit kilomètres.

Accompagnés  d'une sympathique famille  de plongeurs savoyards naviguant sur un bateau identique au notre, nous jetons l'ancre dans une petite crique à droite de la passe, à l'abri du clapot soulevé  par le vent parfois puissant et protégée par d'abondantes avancées de corail.

Nous voilà seuls au monde, des cabanes de pêcheurs et de ramasseurs de coprah semblent momentanément abandonnées, quelques poules et coqs nous souhaitent la bienvenue et nous servirons de réveille- matin, des cinq heures.
Le platier nous fournit  langoustes et crabes des cocotiers, les garçons pêchent de délicieux  perroquets que nous mangerons à toutes les sauces...
Aucun bateau n'est ancré  dans les parages, et le village est à six heures de mer...
Tous ces paramètres nous incitent donc à la plus grande prudence mais éveillent  d'autant plus notre curiosité et notre excitation!

J'assurerai la première sécurité surface afin que Patrick et Franck puissent faire une plongée de reconnaissance, par courant entrant avec une petite amplitude de marée.
Lorsque je les récupère, côté lagon, une petite heure plus tard, les sourires barrant leur visages réjouis, leurs yeux pétillants de bonheur et leur bavardage ininterrompu me renseignent déjà.
Ils ont longé le tombant extérieur droit, se sont laissés porter par le courant entrant au milieu de la passe, l'ont traversé dans sa largeur et ont poursuivi leur inspection en se dirigeant le long de la veine droite, non loin de notre mouillage.
Nous ne comprenons pas grand-chose à leur compte rendu, leurs explications trop enthousiastes se mélangeant, s'entrecoupant, se divisant pour s'accorder quelques minutes plus tard, bref, de la pagaille joyeuse et entraînante, divertissante mais  un peu brouillonne ....

Dès le lendemain, après consultation des horaires de marée dont je vous passe les détails techniques, nous partons à cinq, le dernier restant sur l'annexe.
Non, nous ne tirons pas au sort pour savoir lequel d'entre nous passera environ une heure, sous le soleil ou sous la pluie, dans les vagues ou dans le mascaret, cherchant la sortie du parachute qui mettra un terme à sa longue attente.
Notre bonne entente est parfaite et un volontaire se désigne forcément, avec une mention spéciale pour Quentin, toujours dévoué et souriant!

Et nous voilà donc dans ce monde féerique et incroyable, au bout du monde, au milieu de nulle part, et sous trente mètres environ.
Le tombant est coloré, de nombreux coraux variés, multicolores, fleuris, ornent cette paroi abrupte. Ces coraux sont un abri pour de nombreux petits poissons. Ce sont de formidables niches écologiques où la nourriture est abondante, le refuge sûr  la protection maximale.
Chaetodons cochers, tachetés, ornés, délavés, dorés, poissons papillons pyramides, taurillons à trois bandes, à longues nageoires, poissons anges, demoiselles à queues blanches ou jaunes, de nombreuses espèces habitent ces lieux enchantés.
Les sapins de Noël aux couleurs claires ou foncées couvrent certains coraux et se rétractent des que nous avançons la main dans leur direction.
De nombreuses anémones, aux tentacules agitées par le courant cachent des petits poissons clowns dont elles protègent leur ponte des prédateurs, sous leur manteau bleuté.

À notre arrivée, par curiosité et sans doute parce que nous sommes un peu bruyants, les requins à pointes blanches de récifs remontent et décrivent de circulaires trajectoires, assez amples heureusement! Lors d'un après-midi particulièrement poissonneux, un individu de plus de trois mètres cinquante pointera le bout de son aileron tout prêt de nos palmes.
Des bancs de perches pagaies, de perches à bordures jaunes, à raies bleues ou à tâches noires sont regroupés le long de la formation corallienne, ils évoluent autour de nous, se séparent parfois en laissant place à un banc de carangues bleues, cuivrées ou maquereaux.
Un énorme thon à dents de chien, suivi par trois de taille plus raisonnable, des groupes de barracudas nous croisent dans une vexante indifférence.

Au bord du tombant, nous palmons de toute notre énergie pour rejoindre le côté opposé. Nous restons prudemment groupés  et gardons toujours un œil pour Patrick.
En effet, le courant est différent suivant la hauteur à laquelle chacun se trouve et suivant les différentes veines que nous traversons, la vigilance et la discipline sont de sortie et de rigueur, pour la satisfaction et la sécurité de la dynamique palanquée.
Au passage, nous admirons de gros napoléons jouant à cache-cache entre les arches de corail.

Lorsque nous arrivons prêt de la falaise opposée, le courant se calme et nous avons le temps de profiter pleinement d'un  décor somptueux.
Composée de grottes et cavités plus ou moins grandes,  l'architecture est originale, diverse et peu rencontrée en Polynésie.
Des maisons de Schtroumpfs  ornent cette falaise et abritent des zancles, des chirurgiens striés,  à tâches rouges ou à nageoires jaunes. Quelques chirurgiens bagnards et d'autres à voile complètent cette importante population.

 Nous évoluons à ce moment- là sur une quinzaine de mètres quand nous apercevons, en contrebas et dans le courant, un mur de requins.
Allez, je vous l'accorde, celui-ci n'a rien de comparable avec celui de Fakarava Sud, mais il comprend quand même une trentaine d’individus, rangés  serrés, le nez face au courant.

Il est , à cet endroit précis, l'heure de nous laisser emporter par un fort courant, de gravir la marche des six mètres et de tous nous retrouver plus loin, plus au calme, pour envoyer le parachute, effectuer nos paliers de sécurité en compagnie de bébés requins, et attendre notre chauffeur attitré.

Les retours de plongées sont bruyants, et,  plus tard dans la journée, à notre habitude, les requins et autres poissons sont encore présents dans nos esprits et dans les conversations autour de la table.
Marion, notre photographe et cameraman, met toute sa patience et sa passion pour nous obtenir de splendides clichés, et nous permet de les partager.

En autonomie totale, nous avons eu la chance de vivre tous les six ces merveilleuses plongées, de découvrir cette faune et cette flore exceptionnelles, dans ce lieu peu fréquenté, comme des privilégiés de la vie que nous sommes déjà, pour tellement de raisons....

Alors, la passe Tapuhiria, vous vous souviendrez?